Quoi de plus ennuyeux que les démonstrations de sécurité avant le décollage d’un avion ? Comme vous pouvez le constater dans la vidéo ci-dessous, les hôtesses de l’air font souvent preuve d’une patience à toute épreuve face à des passagers qui règlent leurs sièges, discutent ou bien sont déjà ostensiblement plongés dans leur lecture ou le visionnage d’une série sur leurs tablettes :
Face à cette situation, certaines compagnies aériennes tentent de jouer la carte de l’originalité. C’est notamment le cas d’Air France qui propose désormais sur certains de ces vols une vidéo travaillée avec quelques pointes d’humour et surtout beaucoup de mise en scène autour de l’image de marque de la compagnie française :
Si cette technique permet d’attirer l’attention des nouveaux passagers n’ayant pas voyagé sur un vol Air France depuis longtemps, les habitués retournent quant à eux très rapidement à leurs occupations respectives.
Seuls l’originalité d’un steward ou l’humour d’une hôtesse de l’air parviennent parfois à sortir les passagers de leur torpeur :
Cette stratégie est bien connue des scénaristes de séries qui ont pour mission de maintenir en haleine les spectateurs sur plusieurs heures, chaque fin d’épisode constituant un risque de perdre quelques parts d’audience. Afin d’éviter cet écueil, ils terminent souvent leurs épisodes sur un retournement de situation plus ou moins rocambolesque qui laisse le spectateur dans l’expectative. Parmi les exemples les plus connus figurent l’épisode « Les pluies de Castamere » dans la série Game of Thrones au cours duquel les personnages les plus emblématiques de l’intrigue disparaissent de manière brutale et sans que l’on puisse l’anticiper.
Quels sont les ressorts de cette stratégie du storytelling ?
N’avez-vous jamais changé de parfum car vous aviez l’impression qu’il avait perdu de sa fragance ? N’avez-vous jamais eu l’impression de découvrir l’existence d’un arbre sur la route que vous empruntez quotidiennement le jour où il a été coupé ?
Ces éléments témoignent d’un aspect important de notre cerveau qui est conçu pour être attentif aux changements. Une modification, même minime, de notre routine, va nous interpeler et mobiliser notre intellect afin d’essayer de comprendre pourquoi notre esprit de déduction a failli.
Quelles sont les applications possible en contexte pédagogique ?
L’enseignant est régulièrement confronté à la situation de l’hôtesse de l’air essayant désespérément d’attirer l’attention de ses élèves. Soit ces derniers ont l’impression d’avoir entendu 50 fois le même cours sur la Seconde Guerre mondiale, soit ils sont blasés par la routine d’un enseignant de mathématiques qui utilise toujours la même méthode.
S’il n’est guère possible d’entretenir le suspens sur l’issue de la Seconde Guerre mondiale, ni même de créer un effet de surpris autour des fractions, certaines méthodes peuvent être adaptées afin d’introduire une forme d’inattendu dans les ressources et parcours pédagogiques :
Exemple 1 : Détruire une idée reçue
Nora EPHRON était une journaliste, romancière, scénariste, réalisatrice et productrice américaine ayant été nommée trois fois aux Oscars, notamment pour son travail sur les scénarios des films Quand Harry rencontre Sally et Nuits Blanches à Seattle. Elle a souvent raconté que son premier cours de journalisme avait été une étape essentielle dans sa formation. Son professeur avait en effet commencé l’année en demandant à ses étudiants de rédiger l’accroche d’un article sur un séminaire organisé la semaine suivante autour des nouvelles méthodes d’enseignement. Les journalistes en formation se sont donc executés en appliquant les règles communément attendues pour cet exercice qui consiste à résumer en quelques mots les principaux faits autour de cette information : thème de la formation, participants, lieux, etc.
Lors du cours suivant, le professeur s’est contenté de parcourir rapidement les travaux qui lui ont été rendus avant de les reposer sur son bureau et d’affirmer : « Personne n’est parvenu à trouver l’accroche permettant d’introduire cet article. La bonne réponse était : « Il n’y aura pas cours jeudi prochain ! ». Et maintenant, je vais vous apprendre comment ne pas passer à côté de l’essentiel dans vos prochains articles ».
D’un point de vue méthodologique, ce professeur a marqué des générations d’étudiants avec cet exercice relativement simple qui consiste à partir des présupposés des élèves pour mieux les détruire avant de reconstruire sur de nouvelles bases.
C’est une stratégie que j’utilise notamment en histoire et géographie lorsque je travaille avec les élèves sur la notion de puissance. La séance commence généralement par une activité au cours de laquelle je demande aux élèves d’établir la liste des dix plus grandes firmes multinationales au monde. Après un temps de réflexion individuelle, je leur propose d’établir une liste commune pour l’ensemble de la classe qui est projetée au tableau. A chaque fois, le résultat est sensiblement le même : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (les fameuses GAFAM…), suivies de McDonald’s, Total, etc.
Lorsque la classe s’est globalement mise d’accord sur une liste, j’interviens pour apporter une correction :
- Je précise tout d’abord, lorsqu’aucun élève n’a soulevé la question pendant l’activité, que cette liste aurait dû être précédée d’une précision quant à la définition des « plus grandes firmes multinationales » : doit-on prendre en considération leur chiffre d’affaire, leur bénéfice, le nombre d’employés, etc. ?
- Je projette ensuite le dernier classement Fortune Global 500 établi par le magazine Fortune chaque année. Les élèves découvrent alors avec effarement qu’aucune des entreprises auxquelles ils ont pensées ne figurent dans le Top 10, mais aussi qu’ils n’ont jamais entendu parler de la moitié des entreprises qui dominent le classement.
L’activité introductive ci-dessus me permet dès lors de bénéficier de leur attention pour ce cours qui porte les caractéristiques de la puissance (économique, culturelle, industrielle…) et les stratégies mondiales des firmes multinationales (filiales, marques, etc.).
Cette stratégie ne peut cependant pas être utilisée avec toutes les classes et en toutes circonstances. La destruction d’une idée reçue peut en effet être accueillie de manière différente par certains élèves qui acceptent mal l’idée d’être mis en échec. C’est pourquoi il peut parfois être utile de mobiliser une autre stratégie un peu moins frontale.
Exemple 2 : L’engagement devant les pairs
Cette méthode a été mise en place à la fin des années 1990 à l’université d’Harvard par le professeur Eric Mazur. Elle s’inscrit dans le cadre de la Peer Instruction théorisée dans un ouvrage désormais disponible en français :
Le principe est relativement simple : le professeur Eric Mazur demande régulièrement à ses élèves de répondre publiquement à une question conceptuelle sous la forme d’un QCM. Non seulement les résultats de l’ensemble de la classe sont affichés et peuvent être commentés, permettant ainsi de constater que tout le monde n’est pas d’accord, mais certains étudiants sont également invités à justifier leurs choix et à confronter leurs arguments avant que le professeur ne reprenne la main et n’apporte la solution au problème à l’issue de son cours.
En mobilisant cette stratégie, l’enseignant intervient sur deux aspects importants de l’apprentissage :
- D’abord, il limite le biais cognitif de l’excès de confiance qui conduit de nombreux élèves à commettre des erreurs et à manquer d’attention en raison d’une illusion sur leur propre jugement ;
- Ensuite, il favorise un meilleur niveau d’engagement des élèves en introduisant une forme d’enjeu autour du sujet.
En somme, seul devant sa copie, l’élève peut être persuadé d’avoir raison tandis que la confrontation avec les réponses des autres élèves de la classe fera émerger le doute nécessaire à la gestation d’une réflexion.
Outils pratiques Les différents sondages évoqués ci-dessus peuvent être réalisés en seulement quelques minutes avec Wooclap si vos élèves sont équipés de terminaux mobiles. Sinon, vous pouvez mobiliser Plickers qui vous permet d'obtenir le même résultat en fournissant simplement des QR code en papier à vos élèves.
Conclusion
L’effet de surprise utilisé par les plus grands scénaristes peut donc être utile pour permettre aux enseignants de repenser l’organisation de leurs ressources et scénarios pédagogiques, tout en gardant à l’esprit que cette stratégie ne peut pas se suffire à elle-même. Si la mobilisation d’une dose d’inattendu peut aider à capter l’attention des élèves, elle doit ensuite s’intégrer dans une séquence susceptible de soutenir la réflexion sur un temps plus long.
N’hésitez pas à me laisser en commentaire vos exemples d’activités mobilisant l’inattendu et l’effet de surprise afin de varier les exemples dans d’autres disciplines que l’histoire et la géographie.