L’un des principaux défis de l’enseignant qui décide de mettre en œuvre les principes de la pédagogie participative et sociale (PEPS) consiste à trouver des ressources adaptées aux élèves et aux programmes.
La solution la plus simple aujourd’hui est d’utiliser les parties « leçon » des manuels scolaires que les élèves peuvent travailler en autonomie avec l’aide de questionnaires d’accompagnement réalisés par le professeur. Cependant, ces pages ne sont pas toujours les plus satisfaisantes, ni les plus complètes. L’évolution des attentes de l’institution, des enseignants et des parents ont en effet progressivement conduit les éditeurs scolaires à minimiser les parties « leçon » au profit de multiples documents et dossiers.
Une alternative consiste à fournir aux élèves des polycopiés qui résument la partie du cours que l’on souhaite leur faire travailler en autonomie.
Ces solutions manquent cependant d’originalité et c’est pourquoi plusieurs professeurs ont récemment fait appel à la vidéo qui présente l’avantage de résumer en quelques minutes les éléments essentiels d’une leçon et qui peut être regardée sur un ordinateur en classe, sur une tablette au CDI, au fond de son lit ou bien dans les transports en commun.
Hélas, ces ressources restent encore rares ou bien inadaptées aux programmes scolaires français.
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Quels sont les besoins ?
Plusieurs exemples anglo-saxons fournissent des pistes de ce que pourraient être les ressources vidéo utilisables dans un contexte scolaire.
La série américaine Crash Course est particulièrement convaincante dans sa mise en scène et dans son découpage thématique. L’auteur utilise en effet l’humour et une dynamique soutenue pour conserver l’attention des élèves, tout en diffusant un contenu complet et structuré :
L’autre exemple désormais bien connu est celui de la Khan Academy qui se diffuse à l’échelle internationale mais dont la version française ne propose pas pour l’instant de cours d’histoire, ni de géographie. Les ressources disponibles en anglais témoignent cependant d’un contenu efficace et d’une grande qualité reposant sur de courtes vidéos illustrées par des cartes et des documents d’archives :
L’intérêt de la Khan Academy ne se limite pas cependant à fournir des vidéos de cours. Le site Internet propose également de véritables parcours permettant de suivre une leçon complète ou bien seulement quelques séances qui sont à chaque fois associées à des activités permettant d’accompagner progressivement l’apprentissage.
C’est ce genre de ressources qui manquent aujourd’hui aux enseignants français, c’est-à-dire une banque de ressources dans laquelle ils pourraient piocher ponctuellement pour traiter certains aspects ponctuels de leurs cours.
Bien que les vidéos proposées par Pythagora et FranceTVéducation soit d’une qualité appréciable, elles ne permettent pas pour l’instant une utilisation pédagogique en classe car elles se limitent à une approche synthétique par chapitre. Si elles sont très utiles aux élèves pour réviser à la veille d’un examen, elles ne permettent donc pas aux enseignants de recréer eux-mêmes leur propre parcours pédagogique.
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Vers un nouveau modèle économique
Les éditeurs de ressources scolaires ont bien pris conscience de l’évolution des attentes d’une partie grandissante des enseignants français qui, équipés de vidéoprojecteurs et de connexions Internet dans leurs salles de classe, utilisent de moins en moins les manuels au profit des ressources innombrables qui sont à leur disposition sur le Web. Dans de nombreux établissements, l’équipement systématique des élèves en manuels ne tient plus parfois qu’à la seule volonté des parents qui restent encore très attachés à cet objet qui a occupé une place importante dans leur propre scolarité. La réduction progressive des budgets des collectivités territoriales risque cependant de bientôt faire sauter ces derniers verrous… à moins que les éditeurs scolaires ne trouvent rapidement des solutions pour renouveler leur offre !
En face, d’autres acteurs se préparent en effet à attaquer le monopole des éditeurs scolaires. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer le nombre de sites et d’applications mobiles qui ont été proposés gratuitement ou à des prix modiques aux élèves préparant un examen en 2014. Si certains relèvent de l’escroquerie, d’autres ont créé des contenus d’une grande qualité et continuent à recruter des enseignants pour élargir leur offre dès la prochaine rentrée.
Or, si la plupart des éditeurs scolaires sont vraisemblablement prêts à dégainer leur offre de ressources en ligne, ils n’ont pour l’instant encore rien annoncé officiellement pour la rentrée 2014. Et pour cause : le marché des manuels scolaires traditionnels reste encore confortable et les manuels numériques n’ont pas rencontré jusqu’à présent le succès escompté. Il faut dire que la mise en oeuvre de ces ressources a déçu de nombreux collègues en raison de la pauvreté initiale de l’offre (qui se contentait parfois de proposer un PDF des pages du manuel papier), de multiples difficultés techniques (notamment la complexité d’accès aux plateformes), mais aussi du coût qui venait souvent s’ajouter à celui du manuel traditionnel (et souvent pour une durée limitée d’accès aux ressources numériques). De plus, alors que les spécimens-papier sont systématiquement envoyés dans les établissements, l’offre numérique n’a pas fait l’objet d’un véritable accompagnement permettant de convaincre les enseignants de leur utilité.
Dans le contexte budgétaire actuel, il est peu probable que des collectivités territoriales acceptent de financer les deux supports (papier et numérique). Or, à défaut d’un équipement informatique systématique de toutes les salles de classe et des familles, les enseignants continueront encore à privilégier les versions papiers pendant quelques années, renvoyant ponctuellement leurs élèves à des ressources numériques gratuites et faisant le bonheur des nouveaux acteurs qui se préparent depuis quelques mois à l’émergence d’une telle demande.
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Pour une modernisation des offres en ressources scolaires
A mon sens, les éditeurs scolaires qui parviendront à tirer leur épingle du jeu seront ceux qui accepteront d’adapter leur modèle économique en utilisant l’accès à des ressources numériques non pas comme une offre complémentaire, mais comme un produit d’appel associé au manuel papier. En somme, les équipes n’auraient pas à choisir entre le manuel papier et le manuel numérique, mais choisiraient leurs manuels papiers aussi en fonction de la qualité des services numériques qui lui seront associées.
De plus, il serait utile d’envisager la création de communautés d’enseignants susceptibles d’initier et de mutualiser sur la plateforme numérique de chaque manuel les activités qu’ils mettent en oeuvre dans l’utilisation quotidienne de ces ressources (à l’image de ce que propose modestement, mais avec succès, Le Livre Scolaire). Non seulement ce service permettrait d’assurer la promotion et le suivi des offres, mais il contribuerait également à la fidélisation des équipes à un produit.
En termes de contenus, il convient enfin d’insister sur l’importance aux yeux des enseignants de bénéficier d’une banque de ressources dans laquelle ils puissent piocher ponctuellement afin de recréer leur propre parcours pédagogique en fonction des choix de leur programmation, du matériel à leur disposition, du niveau de leurs élèves et de leur propre sensibilité pédagogique. Comme le rappelle très justement Bruno Devauchelle, l’enseignant est « un véritable ingénieur pédagogique » qui n’acceptera de s’emparer des ressources numériques qu’à condition « de ne pas vouloir guider constamment celui qui apprend mais simplement baliser une progression qu’une relation directe permettra éventuellement d’ajuster« .
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Espérons que les moyens annoncés récemment par le gouvernement pour le développement d’une filière industrielle française du numérique éducatif permettront de répondre à un tel défi. La très grande majorité des enseignants, des élèves et des parents sont attachés à la qualité éditoriale des manuels qui leurs sont actuellement proposés. Il serait regrettable qu’un manque de réactivité sur la forme finisse par nuire aux moyens permettant de financer le fond.