Que vous soyez plutôt littéraire ou scientifique, ce titre d’un célèbre poème de Paul Eluard est censé éveiller quelques souvenirs de votre scolarité. Quel professeur en effet n’a jamais mobilisé la métaphore fruitière pour essayer de faire comprendre le système scolaire à ses élèves ? C’est par exemple le cas de l’excellent Romain Bourdel-Chapuzot dans l’une de ses vidéos sur YouTube :
Romain Bourdel-Chapuzot, professeur de Physique-Chimie, explique les saisons à ses élèves
C’est également l’orange qui est mobilisée par les professeurs de géographie pour expliquer aux élèves les subtilités de la projection cartographique et l’impossibilité de représenter la Terre sur un planisphère :
Dans les deux cas, la stratégie repose sur la mobilisation d’une idée simple, concrète et déjà connue des élèves pour introduire un concept plus complexe. Il s’agit d’une méthode utilisée assez naturellement par de nombreux enseignants et dont les principales caractéristiques relèvent du storytelling.
Continuons la métaphore fruitière pour essayer de comprendre comment cela fonctionne et répondre à cette question : qu’est-ce qu’un pomelo ?
Dans un premier temps, vous pouvez mobiliser la fiche Wikipédia qui vous permet de comprendre qu’il s’agit du nom commun d’un agrume appelé Citrus xparidisi dont la taille est plutôt imposante (entre 8 et 15 cm) et dont l’écorce est plutôt mince et la chaire très juteuse.
Mais vous pouvez aussi expliquer tout simplement que le pomelo est un gros pamplemousse. Si cette analogie constitue un raccourci discutable d’un point de vue scientifique, elle n’en demeure pas moins très pratique d’un point de vue pédagogique car elle vous permet de mobiliser un concept déjà maîtrisé pour en introduire un nouveau.
Pas totalement convaincu ? Faisons un rapide exercice supplémentaire.
Essayez de retenir un maximum de lettres dans la liste écrite ci-dessous en quinze secondes. Lorsque vous avez terminé, prenez un feuille, un stylo et essayez de réécrire cette liste sans regarder votre écran !
VG EON UTG VSNC FC AFD SK
C’est terminé ?
Sauf capacité mémorielle exceptionnelle, la majorité d’entre vous a normalement pu écrire entre sept et dix lettres sur sa feuille.
Refaisons désormais le même exercice, avec la même suite de lettres… mais en changeant simplement la façon dont elles sont organisées.
A nouveau, prenez quinze secondes pour retenir cette suite de lettres et essayez ensuite de l’écrire sur une feuille :
VGE ONU TGV SNCF CAF DSK
Alors ? Comment expliquer que vous ayez retenu beaucoup plus facilement cette liste ?
Certes, il s’agissait de votre seconde tentative… mais aussi, et surtout, cette liste avait beaucoup plus de sens à vos yeux et dans votre esprit ! Lors de ce nouvel essai, vous n’avez pas seulement essayé de retenir une liste de dix-neuf lettres brutes, mais une liste de six mots que votre cerveau a associé à des idées déjà stockées dans votre mémoire.
Et d’ailleurs, sans vous en rendre compte, vous n’avez pas seulement appris une liste de mots mais des concepts qui, selon votre univers mental personnel, ont commencé à faire sens dans votre esprit. Ainsi, certains d’entre vous ont pensé aux services publics, d’autres à la présidence de la République, etc. Cette liste s’est donc inscrite en cohérence avec d’autres concepts qui étaient déjà ancrés dans votre mémoire.
Ancre au bord de la Loire à Cosne sur Loire, Nièvre, Bourgogne, France (source)
Le cerveau humain fonctionne en effet par associations d’idées et c’est d’ailleurs cette caractéristique principale que les ingénieurs et informaticiens essaient de reproduire pour développer des intelligences dites artificielles capables de reconnaître un chat d’un cochon d’inde. Ainsi, lorsqu’un ami vous explique qu’il est parti en vacances sur une île paradisiaque, vous imaginez immédiatement une plage de sable fin, du soleil, des cocotiers et une mer bleue turquoise car votre schéma intellectuel a été forgé par des milliers de films et de cartes postales qui ont progressivement construit cette image dans votre esprit.
Conclusion
Ce principe mobilisé par de nombreux enseignants est essentiel pour créer des ressources éducatives adaptées au développement intellectuel de l’élève afin de lui permettre d’appréhender de nouveaux concepts et d’entrer progressivement dans une réflexion toujours plus complexe.
Cette stratégie peut d’ailleurs parfois conduire à des simplifications qui s’éloignent légèrement du chemin escarpé de la vérité pour emprunter une route davantage balisée et susceptible de lui permettre de rejoindre le chemin dès qu’il se sentira prêt.
Contrairement au storyteller, l’enseignant n’a en effet pas pour seule mission de tenir ses élèves en haleine jusqu’à la fin de l’intrigue ; il doit aussi préparer le moment où il va leur lâcher la main et de préférence d’ailleurs sans attendre le générique de fin du programme…
Les exemples du pomelo et de la suite de lettres sont développés par Chip HEATH et Dan HEATH dans leur ouvrage Made to Stick (2010). Ils ont été adaptés pour cet article à une réflexion centrée sur des problématiques éducatives.